Les hommes aussi ont-ils trop de testostérone ?
La boxeuse algérienne Imane Khelif, en lice en boxe olympique, a subi ces derniers jours des soupçons intrusifs sur son genre. Entre débats faussement scientifiques, attaques de l’extrême droite européenne, propos transphobes et présupposés racistes, la boxeuse a subi une vague de haine internationale. Or, ce débat sur la place des femmes dans le sport, et sur la façon de prouver sa féminité, ne sort pas de nulle part.
Les femmes ont toujours subi ces doutes. Quand elles performent, elles sont soupçonnées de ne pas être des femmes, elles auraient trop de testostérone, seraient trop grandes… Tout est bon pour soupçonner une femme de ne pas en être une. Les hommes eux ne sont jamais accusés d’avoir trop de testostérone par rapport aux autres, une trop grande taille (pourtant il est difficile de ne pas voir l’avantage que cela apporte dans certains sports). Autre détail étonnant, les femmes subissant ces doutes ne sont jamais des femmes européennes mais toujours des femmes venant du continent africain ou du sous-continent indien (notamment Caster Semenya ou Dutee Chand), étrange hasard.
Pour comprendre la violence subie dans cette histoire, il faut comprendre comment nous vérifions le genre d’une sportive. Contrairement à toute la seconde moitié du XXème siècle, les femmes ne subissent plus un test systématique mais sont testées seulement quand il y a un doute visuel sur le genre. Or, comment douter visuellement du genre d’une athlète ? On se base sur des préjugés, une mâchoire trop carrée, des bras trop musclés… Bref, des clichés sur la féminité. Alors, on essaye de justifier ça a postériori sur des critères scientifiques. Mais quand on a des doutes visuels on ne connaît pas les chromosomes ou les taux de n’importe quelle molécule de l’athlète.
On sait aussi que le corps n’est pas binaire, les intersexuations chromosomiques sont multiples ; on essaye de binariser les corps et les genres mais on se casse les dents dessus et nos corps restent des archipels où la binarité ne rentre pas (ironie du sort, on le sait notamment du fait du sport qui a testé systématiquement les femmes durant 30 ans et a révélé sans le vouloir l’importance statistique de l’intersexualité au lieu de débusquer des hommes). Il existe des formations chromosomiques multiples, nos taux de testostérone ou d’œstrogène sont toujours uniques et les personnes intersexes ne le sont que parce que les définitions forcent la binarité.
Alors dire à une boxeuse, qui ne domine même pas sa spécialité (comme Caster Semenya ne réalisait pas les meilleurs chronos quand les soupçons sont nés) qu’elle n’est pas une vraie femme, ou que son taux de testostérone l’avantage, n’est qu’une façon de masquer les croyances intrusives sur le genre des athlètes de la catégorie femme. Que ces personnes soient trans ou intersexes, il ne faut pas se mentir, ce ne sont pas des questions d’équité ou de sécurité qui justifient leur exclusion mais seulement des paniques morales. Sinon l’équité dans le sport est à géométrie variable : les hommes ne sont jamais accusés d’avoir “trop de testo” par rapport aux autres. Inutile d’ajouter qu’il est impossible d’isoler les conséquences de la testostérone produite de manière endogène et donc de savoir à quel point cette dernière joue un rôle dans la performance sportive. Aucune étude sérieuse n’a réussi à prouver définitivement son rôle quand d’autres critères si (le taux d’hématocrite en demi-fond par exemple), sans que cela ne soit pris en compte dans l’équité des compétitions.
Enfin, si la testostérone jouait un rôle (ce qui est loin d’être prouvé donc), il serait logique que les femmes qui en produisent le plus soient les meilleures et donc soient les plus performantes. Déclarer que la testostérone joue un rôle dans la performance – puis dénoncer les femmes qui en ont le plus comme n’étant plus des femmes – reviendrait à interdire aux femmes d’être les plus performantes. Que ce soit Caster Semenya, Imane Khelif ou les athlètes trans exclues de plus en plus de sports, il serait temps d’arrêter de juger leur genre et de profiter de leur performance.
Annonceur : Fédération Sportive LGBT+
Rédaction : Aurèle PONTIER
Relecture : Florent TRAINAUD